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« Les petits gestes vont nous sauver »


Mettez l’écologie en débat dans un groupe et vous aurez droit, à coup sûr, à une véritable battle pour savoir qui fait couler le moins d’eau, achète le plus local ou prend le moins l’avion – le plus répandu étant sans doute « ah oui, mais moi, je trie mes déchets ». À ce moment-là, vous avez juste envie de répondre que c’est hyper intéressant, vraiment, de savoir que la carotte a fait moins de 20 kilomètres, mais que l’écologie n’est pas un concours de qui a la moins grosse. Vous souhaitez dire tout haut que cette individualisation du problème climatique crée de la culpabilité chez celles et ceux qui n’ont pas le temps ou pas l’argent pour agir ! Si le concept d’« écologie punitive » est aussi populaire, c’est justement parce que certains en ont marre qu’on leur dise d’éteindre la lumière en sortant d’une pièce alors que les ventes de yachts explosent… Bref, vous voulez défendre le caractère éminemment politique et systémique de l’écologie. Mais pour convaincre votre interlocuteur, et lui montrer qu’on peut critiquer les petits gestes tout en les louant pour ce qu’ils apportent, vous avez besoin d’être plus concret. C’est parti pour un bel exercice d’équilibriste.

Les injonctions à changer nos comportements individuels prolifèrent de toute part, et parfois, c’est une très bonne chose. Mais le bât blesse quand ce sont ceux qui participent au problème qui se le permettent. « Les petits gestes vont nous sauver », c’est une rhétorique bien pratique pour défendre le statu quo. Quelle a été l’une des premières recommandations de Bruno Le Maire quelques jours après le début de la guerre en Ukraine ? « Baissez votre thermostat ! ». Très bien, mais le plus important n’est-il pas de mener une politique de sobriété pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles ? En 2021, Esso nous proposait d'« opter pour la dématérialisation » en arrêtant d'imprimer nos tickets de caisse. Magique. Là encore, c’est sympa, mais est-ce que ça poussera les grands groupes pétroliers à abandonner des projets d'extraction (comme celui-ci en Ouganda, par exemple) ? Vont-ils au moins réduire leur lobbying ? Il ne manquerait plus que Pepsi vante le recyclage ou Air France incite à soutenir une association de reforestation… Ah, elles le font. L’enfer est pavé de bonnes intentions.

Cette approche plus individualiste se retrouve même dans la Stratégie Nationale Bas Carbone qui compte en grande partie sur l’adoption de comportements individuels vertueux : limiter les excès de consommation de charcuterie et de viande, baisser de 1°C la température de son habitat, privilégier le covoiturage… Chouette, les députés français ont pris le pli de la sobriété ! Mais ne pourrait-on pas imaginer d’inscrire dans la loi un maximum à ne pas dépasser par individu ou foyer ? Parce qu’entre les plus riches et les plus pauvres, il y a un monde. Plus précisément, les 50 % les plus pauvres émettent 4 fois moins que les 10 % les plus riches.

En redirigeant la responsabilité sur tout le monde, ceux qui peuvent agir noient le poisson : tout le monde est responsable, donc personne n’est responsable. En réalité, derrière chaque choix individuel, on retrouve une multitude de critères indépendants de notre volonté : avez-vous choisi de chauffer votre appartement au gaz collectif ? Pouviez-vous travailler à moins de 15 km de votre domicile ? Êtes-vous responsable de la fermeture de cette ligne de train ou de bus ? Avez-vous les moyens de consommer bio et local ? Tant que la société continuera de promouvoir des objectifs non compatibles avec l’objectif de l’Accord de Paris, en commençant par des prix bas et de l’énergie peu chère, les petits gestes resteront des petits gestes. Indispensables, bien utiles pour atténuer notre éco-anxiété, mais petits.

On a gardé le meilleur pour la fin. Une étude du cabinet de conseil Carbone 4 a montré, en 2019, que même un(e) Français(e) adoptant un comportement « héroïque » pourrait réduire son empreinte carbone… de 25 %. Les 75 % restants dépendent de transformations que seuls l’Etat ou les entreprises peuvent gérer.

Donc face à celui ou celle qui pense sauver le monde en remplissant sa poubelle jaune, pensez à 1) lui rappeler que les plus grands destructeurs du climat sont, étrangement, hyper fans, eux aussi, des petits gestes. 2) Lui souffler que le climat et la biodiversité ont urgemment besoin de gestes format XXL. Comme, allez, par exemple : sortir du capitalisme ? Mais 3) avec un grand sourire, dites-lui de continuer sur cette voie et offrez-lui une bière (locale).

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