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« Sortir du pétrole, c’est abandonner les pauvres »


Le climat est devenu un sujet majeur pour vous (euphémisme !) et votre famille, vos amis et vos collègues vous ont élevé(e) au rang de porte-parole du vélo et de la courgette bio. Cette situation vous oblige à dégainer moult arguments pour faire comprendre l’urgence et convaincre des actions drastiques à mener pour s’en sortir. Climax veut vous soutenir. Pour ce faire, chaque semaine, on vous aidera à répondre à tous les faux arguments dont on vous serine les oreilles au quotidien et à les sabrer, tels des Jedi, à chaque fois qu’ils se présentent à vous. Courage, vous n’êtes pas seul(e). Cette semaine, on rentre dans le lard : « sortir du pétrole, c’est abandonner les pauvres ».

L’urgence climatique est là, la 6ème limite planétaire vient d’être franchie, les sécheresses sont désormais hivernalesmais pas touche à l’essence ! Ce serait un raisonnement de bobo de centre-ville habitué aux petites distances parcourables à pied et à vélo, déconnecté de la réalité quotidienne des moins aisés, celle de la bagnole. Avec, en guise d'argument massue : « Et les pauvres qui font 40 bornes par jour pour aller bosser, t’y as pensé ? », et là, vous séchez sur la réponse. Mais si on vous disait qu’en gelant la taxe carbone depuis 2018 et en allant jusqu’à dépenser 2 milliards quelques semaines avant le premier tour pour baisser de 15 centimes le litre d’essence, ce n’est pas vraiment – voire pas du tout – les pauvres qu’on protège ?

Vous vous doutez bien qu’on ne jette pas une telle boulette de mazout dans l’océan sans se blinder avec des chiffres. C’est parti. Déjà, est-ce vraiment les plus précaires qui roulent le plus ? Réponse : sur la période 2008-2019, les 10 % les plus riches parcourent 17 000 km par an en moyenne, contre 6 700 km pour les 10 % les moins riches. D’accord, on continue. Quelle catégorie sociale possède le plus de voitures ? 0,6 voiture pour les plus pauvres – donc souvent pas de voitures – contre 1,6 pour les plus riches – donc souvent plus de deux. Un petit dernier ? Les ménages les plus aisés parcourent en moyenne 10 km par trajet, alors que les 10% les plus pauvres parcourent seulement 5,4 km par déplacement. Et tous ces écarts se sont renforcés depuis 2008.

Maintenant qu’on a vu que ce ne sont pas les classes populaires qui font ronronner le plus leur SUV 50 % des ventes de véhicules en France –, intéressons-nous aux aides apportées par le gouvernement. Elles devraient, si leur objectif est de protéger le pouvoir d’achat, se concentrer sur les plus pauvres… Sauf que tout le monde est logé à la même enseigne. En abaissant de 15 centimes le prix au litre – pour un coût, rappelons-le, de 2 milliards d’euros, soit 4 fois le plan vélo – le nouveau Président de la planification écologique, on veut parler d’Emmanuel Macron, a préféré ratissé large : le possesseur d’une grosse voiture aux revenus supérieurs à 4000 euros par mois et une infirmière à domicile à 700 euros en bénéficient ainsi de la même manière.

Mais le gouvernement réfléchit déjà à une mesure similaire pour cet été. « Il faut bien penser aux Français(e)s qui partent en vacances en voiture, oh ! » entend-on bien souvent sur les chaînes d’infos. Les congés payés, le Front Populaire, tout ça tout ça. Sauf qu’en réalité, les ménages du 10e décile font 14 900 km par personne et par an pour leurs vacances, contre 3 200 km pour les ménages du 1er décile. Et au passage, pas un mot sur le train. Bref, rien ne va.

Tous ces chiffres nous obligent à poser une question toute naïve : quand parlera-t-on enfin de sobriété ? Parce que la fête de l'énergie bon marché est tout simplement finie. Faire croire, par exemple, qu’une réduction de 15 centimes est une réponse, avec la guerre en Ukraine, l’interdiction possible des voitures thermiques en Europe pour 2035, la raréfaction des ressources et bien entendu toutes les pollutions causées par ces tas de ferrailles, est de la pure démagogie.

Abandonner le pétrole – ou tout du moins réduire sa dépendance dans un premier temps – c’est sortir d’un système dans lequel les plus précaires sont, en réalité, des victimes. Donc, depuis votre piste cyclable ou votre trottoir étroit, rappelez-vous que : 1) En s’attaquant à l’essence, on s’attaque à celles et ceux qui roulent en réalité le plus pour leur travail ou leurs vacances, les plus riches. 2) Chaque taxe baissée, c’est autant d’argent en plus pour des ménages loin d’être précaires et autant d’argent en moins pour la transition. Et en bonus : 3) L’heure est, au moins, à la démobilité. Une habitude, on vient de le voir, déjà adoptée par les classes populaires. De la sobriété subie en quelque sorte. Alors, à la prochaine personne qui vous demande si vous pensez aux plus pauvres avec votre envie de sortir de l’essence, répondez-lui : et les plus aisés, ils sont prêts ?

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