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Révélation : quand Total s'invite à la table de ses employé·e·s avec un guide de communication

Ce document interne que nous vous révélons aujourd'hui dévoile une fois encore la stratégie de TotalEnergies pour maintenir ses salarié·e·s dans le doute, et minimiser sa responsabilité dans l'aggravation de la crise écologique.



C’est la honte de travailler chez Total ? Heureusement, pour soulager la charge mentale de ses salarié·e·s juste avant les fêtes de fin d’année, la multinationale pétrogazière a offert un joli cadeau à près de 60 000 d’entre elles·eux : un guide de communication pour « Un dîner presque parfait » que Climax vous révèle aujourd’hui. Ce document, transmis le 20 décembre 2023, fait suite à une première note révélée en mai par La Lettre A et analysée par Médiapart. L’objectif est que « chaque collaborateur, quel que soit son métier ou sa branche d’activité, puisse accéder à des éléments simples et concrets pour répondre à des questions que l’on pourrait lui poser sur TotalEnergies au détour d’un repas de famille ou d’une soirée entre amis » nous expose un porte-parole de la Compagnie. Entre COP28, énergies renouvelables et demande en hydrocarbures, on vous explique comment Total enfume ses salarié·e·s, des petits fours jusqu’à la bûche.


Total « en ligne » avec la COP 28 ?


La multinationale s’efforce d’abord de montrer la cohérence de sa stratégie avec les conclusions de la COP28, qui s’est déroulée à Dubaï durant le mois de décembre 2023. L’accord de la dernière COP appelle à « transitionner hors des énergies fossiles », sauf que Total ​​prévoit d'augmenter sa production d'hydrocarbures de 2 à 3 % par an sur les cinq prochaines années. Dans nos échanges avec un porte-parole de la Compagnie, il nous a été expliqué que l’entreprise souhaite « accompagner une transition juste, ordonnée et équitable de décroissance des énergies fossiles ». Alors Total, plutôt croissance ou décroissance ? C’est à ne plus rien y comprendre.


Mais au-delà de cette dissonance, le groupe pétrolier n’a pas à se forcer pour trouver des points communs avec les conclusions de la COP28. La référence aux énergies de transition telles que le gaz naturel liquéfié (GNL), « qui peut à la fois remplacer le charbon et supporter les énergies renouvelables intermittentes » d’après les éléments de langage, ravit le groupe pétrogazier. Et pour cause : TotalEnergies souhaite augmenter sa production de gaz naturel liquéfié de 40 % entre 2021 et 2030, selon l’ONG Oil Change International. « C’est ça le point principal de la COP 28 : la victoire de l’industrie pétrolière au sujet du gaz, relève Julian Carrey, enseignant-chercheur à l’Insa Toulouse et membre de l’association Scientifiques en Rébellion, interrogé par Climax. Considérer le gaz comme une énergie de transition a probablement été le fruit d’un gros travail de lobbying. » 2 500 lobbyistes de l’industrie des énergies fossiles étaient présents à Dubaï, et TotalEnergies comptait douze représentants sur place.



Le document interne que Climax s'est procuré, rédigé en anglais par le service communication, a été envoyé le 20 décembre 2023 à l'ensemble des salarié·e·s du groupe.


L’ « argument de comptoir » est de sortie !


Pour rappel : tout nouvel investissement dans des projets d’approvisionnement en combustibles fossiles enterre l’objectif de 1,5°C de réchauffement du climat de l’Accord de Paris, d’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Et le gaz en fait bel et bien partie. 


Pourtant, TotalEnergies assume dans ce document de continuer à lancer de nouveaux projets d’extraction fossile. « C’est la simple confirmation que le groupe ment aux consommateurs lorsqu’il affirme qu’il est aligné sur la neutralité carbone d’ici 2050 » analyse pour Climax Clara Gonzales, juriste chez Greenpeace. L’ONG est engagée dans une procédure judiciaire contre TotalEnergies pour pratiques commerciales trompeuses, et suit de près l’enquête préliminaire qui a été ouverte pour les mêmes chefs d’accusation par le parquet de Nanterre. Pour la juriste, nul doute que ce document de communication interne intéressera les enquêteurs et les magistrats : « La loi est claire : si je ne suis pas aligné sur le net zéro, je ne peux pas continuer de dire publiquement le contraire ! ».



D’après la note de l’entreprise, il serait pourtant « nécessaire de continuer à investir dans de nouveaux projets pétroliers pour maintenir un niveau de prix acceptable ». Ce qui « enterre sans en parler une adhésion de l’entreprise à la mise en place d’une taxe carbone » soulève Julian Carrey auprès de Climax.

 Et de toute façon, si de nouveaux projets d’extraction d’hydrocarbures sont lancés, c’est uniquement pour fournir une demande croissante « liée à la croissance de la population mondiale », d’après le mémo interne. Un argument « de comptoir » qui « met sous le tapis toutes les problématiques de niveau de vie et de consommation, réagit pour Climax Julian Carrey, membre de Scientifiques en Rébellion. Au niveau mondial, les croissances des émissions de CO2 et de la consommation énergétique sont plus fortes que la croissance de la population. »


Le vilain petit canard


Attention, le service de communication ne s’arrête pas là ! Dans la note, les salarié·e·s sont prié·e·s de présenter TotalEnergies comme le « leader mondial dans le développement des projets solaires », selon un classement de la société d’investissement Mercom Capital Group. Dans cette étude parue en décembre 2023, TotalEnergies est décrit comme le développeur de projets solaires « disposant de la plus grande capacité solaire opérationnelle à l'échelle industrielle » avec 12 GW de capacité de production (l’étude ne prend en compte que les développeurs ayant des projets dans au moins deux pays). 


Reste que TotalEnergies est encore loin d’avoir effectué sa mue : la production d’énergie à partir des énergies renouvelables n’a représenté que 1,5 % de la production globale d’énergie du groupe au 3ème trimestre 2023. Alors certes, ses homologues ne font pas mieux. « En moyenne en 2022, seulement 0,3 % de la production énergétique combinée de douze sociétés pétrolières européennes était créé par leur production d’électricité renouvelable » expose un rapport écrit par le spécialiste des marchés pétroliers Steffen Bukold. Mais être leader parmi les losers donne-t-il le droit de se couronner le barril ? « En l’état, les énergies renouvelables développées par TotalEnergies viennent s’ajouter aux énergies fossiles, pas les substituer » conclut le membre de Scientifiques en Rébellion interrogé par Climax.


Et comme si ça ne suffisait pas, la note brandit un argument ouin-ouin : « En France, travailler pour la SNCF ou TotalEnergies peut être source de moqueries auprès des amis et des connaissances ». Le vilain petit canard cherche la cause de son désamour ? Ce n’est pas très fair-play d’envoyer un taquet gratuit à la SNCF pour se sentir moins seul. On lui donne un indice : l’une des deux entreprises ne participe pas à mettre en péril l’avenir de l’humanité.


Pas rassasiée d’être poursuivi deux fois en justice pour ses allégations trompeuses, la compagnie française pousse en interne pour minimiser le rôle des énergies fossiles (aka son fonds de commerce) dans le réchauffement climatique. Allez, on espère quand même que les discussions des repas de famille n’ont pas tourné exclusivement autour de TotalEnergies. Tout le monde a droit à la déconnexion !





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